Fausse bonne idée que ce voyage à Canossa-Washington, intervenu au pire moment alors que George Bush et Tony Blair faisaient face à une levée de boucliers de leurs propres diplomates contre leur gestion du conflit irakien, assurée à coups de mensonges sur les armes de destruction massive, de tortures et d’aveuglement pro-israélien. Mauvaise querelle, à tous égards, que celle faite par M. Sarkozy à ses adversaires quand on songe au zèle pro-israélien manifesté constamment par les socialistes de Suez, en 1956, lors de l’expédition anglo-franco-israélienne contre l’Égypte, à Bir Zeit (Palestine), en l’an 2000, quarante plus tard, qui a donné lieu à la lapidation du Premier ministre socialiste Lionel Jospin pour avoir qualifié de « terroriste » le Hezbollah libanais, enfin à la carbonisation politique d’un intellectuel socialiste Pascal Boniface coupable du crime absolu de lèse-majesté, la critique de la politique israélienne.
Il est malsain de souffler sur la braise pour le plaisir de la gesticulation médiatique. Une lecture hémiplégique de l’Histoire entrave toute cohésion nationale future.
L’UMP (Union pour la Majorité présidentielle anciennement, Union pour un mouvement populaire actuellement) sera son zénith et son nadir. Sur les décombres du RPR moribond et les déboires de son chef naturel Alain Juppé, Nicolas Sarkozy a été sacré chef de la majorité présidentielle avec les encouragements juvénilement médiatiques de son benjamin, Louis.
« Bonne chance mon papa » retentira toutefois rétrospectivement comme un camouflet suprême d’une amère ironie. L’apothéose du régicide tournera en effet au vaudeville avec la fugue de sa dulcinée -équivalant à un abandon du domicile conjugal- avec le « maître des cérémonies », le propre ordonnateur du sacre, cauchemardesque scénario jamais imaginé même par le cinéaste le plus facétieux d’Hollywood.
Parangon de l’ultralibéralisme, l’homme réagira selon sa pente naturelle. Avec un autoritarisme d’une brutalité extrême : le directeur de la publication coupable du dévoilement de ses déboires conjugaux sera décapité professionnellement et un éditeur, téméraire, sommé de renoncer sur le champ à son projet romanesque.
La loi d’airain de la morphologie politique : complexe d’infériorité ? Désir forcené d’ascension sociale ? Lors de ses entretiens avec les grands hommes de la planète, Nicolas Sarkozy se dresse, littéralement, sur la pointe de ses pieds, pour se hisser à l’égal de ses interlocuteurs, du moins dans les clichés officiels, dans une volonté de dépassement des lois de la morphologie politique édictées, sous forme de sentence prémonitoire, par son modèle absolu, Napoléon Bonaparte, à savoir : « les hommes qui ne mesurent pas 1M60, le destin leur passe par dessus la tête ». « Que penser de ce compensé ? Sa talonnette d’Achille ? ce n’est pas une question d’attaque physique, mais d’étiquette éthique. Si le ministre veut nous leurrer sur sa taille que serait-ce sur ces mesures s’il est un jour président ? », décrètera, un jour, à la suite d’une nouvelle jonglerie talonnière, un des oracles de la presse quotidienne parisienne [3].
L’outrage habite cet homme qui a fait de l’invective son outil de communication privilégié. Son passage au ministère de l’Intérieur, s’il n’a pas réduit la délinquance, a en revanche enrichi le vocabulaire politique de deux de ses plus beaux fleurons de la stigmatisation française : Racaille et Karcher. Bon nombre d’observateurs lui imputeront l’exacerbation de la flambée péri-urbaine de l’automne 2005 par ses outrances verbales et ses rodomontades.
Candeur juvénile ou machiavélisme éhonté, Nicolas Sarkozy se choisira comme conseiller exclusif pour la neutralisation des troubles des banlieues françaises, M. Avi Dichter, ministre israélien de la Sécurité publique, celui-là même qui est en charge de la répression de l’Intifida palestinienne dans les territoires sous occupation israélienne, transposant dans l’ordre symbolique, volontairement ou non, le conflit israélo-palestinien sur le territoire national.
Dans une démarche à portée démagogique, à connotation électoraliste, il s’assurera, en récividiste, la collaboration d’un ancien réserviste de l’armée israélienne, Arno Klarsfeld, tant sur la définition du « rôle positif » de la colonisation que pour la régularisation des sans-papiers [4]. Curieuse façon de promouvoir la laïcité, un des principes cardinaux de la République française, en assurant la promotion d’un homme ayant réclamé une nationalité étrangère, en l’occurrence israélienne, par conviction religieuse. Non moins curieuse façon d’assurer la visibilité et la crédibilité de la diplomatie française en s’assurant les services de réserviste israélien, un pays en guerre contre des pays amis de la France, le Liban et la Palestine [5].
Nicolas Sarkozy est un être « mal-latéralisé » [6], qui ne distingue pas sa gauche de sa droite et qui confond la droite et l’extrême droite.
L’horizon indépassable de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy est l’échéance présidentielle de 2007, une date qui coïncide avec la relégation de la France dans la hiérarchie des nations, dans son classement en tant que puissance économique, diplomatique que culturelle, passant de la 4e place à la 9e à l’horizon de l’an 2010, supplantée économiquement par le Japon, l’Inde et la Chine, nouveaux géants de la scène internationale, et, sur le plan culturel, par l’Hispanidad, l’agrégation de locuteurs de la langue espagnole dans le monde, près de 450 millions de personnes en Amérique latine, en Espagne ainsi qu’au cœur même des États-Unis (près de 50 millions de personnes), qui feront de l’Espagne un centre d’influence dans le monde, plus important que la Francophonie avec ses 120 millions de locuteurs.
Que les intellectuels de cour, ces êtres qui gravitent autour de notre Sujet Médiatique Unique du début du XXIe siècle, qui ont troqué leur statut d’intellectuels pour celui de courtisan, lui rappellent à l’occasion ces quelques vérités d’évidence : à savoir que le principal gisement de la Francophonie du XXIe siècle se situe en Algérie, au Maghreb ainsi que sur le continent noir, c’est à dire les destinations actuelles des « charters de la honte ».
Au delà des similitudes entre MM. Chirac et Sarkozy, existe cependant une différence de taille : l’aîné, en vieux routier de la politique, à l’inverse de son cadet, n’a jamais joué contre son camp dans les forums internationaux. La marque d’un certain sens de l’État.
A Washington, le « petit Nicolas » s’est livré à une prestation politicienne, quand se dégageait du discours du « grand Dominique » une prestance morale, en harmonie avec la haute idée que la France veut donner d’elle même.
A tous égards, le voyage à Washington de M. Sarkozy a représenté le négatif du voyage à New York de M. De Villepin, l’ancien ministre des affaires étrangères, en plein débat du Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit irakien. Une mauvaise manière faite à la France, qui a gommé dans l’opinion l’impact du plaidoyer français.
L’homme de la rupture n’a renoncé à rien de l’héritage du gaullisme électoral, s’emparant sans le moindre inventaire de la totalité du legs : parti, cadres, militants, électeurs et financement. L’homme de la rupture n’a renoncé en rien aux combines électoralistes de l’ancien parti gaulliste comme tendrait à le prouver le maelstrom magmatique du feuilleton Clearstream où il apparaît à la fois victime et bourreau, manipulateur et manipulé.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : l’homme que l’UMP s’est choisi comme candidat présidentiel pour les élections de 2007 n’est toutefois pas l’héritier du gaullisme mais le chef de file du courant atlantiste, un des points d’articulation de l’axe israélo-américain dans la sphère euro-méditerranéenne.
Les humoristes anglais désignent Tony Blair de caniche britannique de George Bush. Les Français se sont surpris, un jour, de se découvrir, à leur insu, « tous américains », de par la volonté du Directeur du Monde, Jean Marie Colombani. A n’y prendre garde, un tel schéma pourrait se reproduire.
Que les hommes de bonne volonté se liguent donc pour que la France ne dispose jamais d’un caniche français au président américain. Car s’il suffit d’un décret pour faire un ministre d’état, il en faut davantage pour faire un homme d’état.
source voltair.org