par Abdel Bari Atouan*
Depuis quatre ans, l’éditorialiste d’Al Qods Al Arabi, Abdel Bari Atouan, ne cesse d’écrire que l’Irak n’a pas été libéré mais envahi, qu’il n’est pas aidé par les États-Unis, mais occupé par eux. Il aura malheureusement fallu un cortège de malheurs pour que l’opinion publique internationale se rende à l’évidence. Abandonnant la langue de bois qui sied à un souverain, le roi Abdallah d’Arabie saoudite vient de se ranger du côté de la vérité en qualifiant à son tour la présence US en Irak d’occupation illégitime.
Il y a quatre ans, le jour même où les troupes états-uniennes s’emparaient de Bagdad et que le président Bush annonçait fièrement que la guerre était finie et qu’une étape de paix, de stabilité et de prospérité débutait en Irak, le président irakien défunt était au milieu de ses partisans, porté sur les épaules. Il déclara à cette occasion que la vraie guerre contre l’ennemi venait de commencer. Puis il disparut pour réorganiser les rangs des volontaires d’une façon qui donna rapidement ses fruits, surprenant le président Bush, son allié Tony Blair et tous les leaders arabes qui s’étaient rendus complices de l’agression, en ouvrant leurs territoires et leurs bases aux troupes ennemies en marche sur Bagdad.
Depuis que le premier soldat états-unien a foulé le sol de la presqu’île arabique, au cours de l’été 1990, après l’occupation du Koweït par les troupes irakiennes, notre journal, Al Qods Al Arabi, s’est tenu dans le camp de la nation arabe ou plutôt dans le camp opposé aux États-Uniens. Nous étions à l’opposé des d’eux parce que leur politique dans la région était toujours dans l’intérêt des agresseurs israéliens.
Nous avions prévu la résistance ainsi que l’échec du projet de domination états-unienne, non point parce que nous étions des voyants ou des cartomanciens, mais parce que nous étions convaincus que toutes les occupations à travers l’histoire ont fini par échouer lamentablement. L’histoire n’a jamais retenu qu’une résistance et que des combattants déterminés à libérer leur pays et à chasser les troupes d’occupation, aient échoué un jour.
Nous étions et nous demeurons toujours et absolument convaincus que le peuple irakien et ses hommes d’honneur tout particulièrement, c’est-à-dire la majorité de la population représentant toutes les ethnies et toutes les religions et confessions, s’opposera à l’occupation et combattra ses projets ainsi que ceux que les occupants ont ramenés sur leurs blindés, parce que c’est un peuple authentique, fier de ses 7 000 ans de civilisation et d’histoire de résistance aux conquérants de tous bords.
Nous n’avons été nullement surpris en recevant, en date du 28 avril 2003, par fax, la première lettre (des cinq lettres), écrite de la main même de feu le président Saddam Hussein, adressée au peuple irakien. Elle commençait par Al Besmalah (Au nom d’Allah, le Miséricordieux, Le Tout Miséricordieux), puis un verset du Coran qui dit : « Tandis qu’auparavant ils avaient pris l’engagement envers Allah qu’ils ne tourneraient pas le dos. Et il sera demandé compte de tout engagement vis-à-vis d’Allah » et promettant au grand peuple irakien, aux peuples arabes et musulmans ainsi qu’à tous les hommes libres de par le monde, que le criminel Bush, qui est rentré à Bagdad avec son et même ses Alalqami comme le fit Hulagu auparavant, en sortira vaincu. Il appela son peuple à se dresser contre l’occupant, à ne point faire confiance à ceux qui parlent de sunnites et de chiites, le seul problème du grand Irak en ce moment étant l’occupation. Il insista sur l’unité et rappela aux irakiens que s’ils s’unissaient, ils feraient fuir l’ennemi et les traîtres qui l’accompagnent. Il conclut sa lettre ainsi « avec l’aide de Dieu, viendra le jour de la libération et de la victoire, pour nous, la nation et l’Islam. Vive le glorieux Irak ! Vive son grand peuple ! Vive la Palestine arabe, libre du fleuve à la mer ! Allahou Akbar ! »
La prédiction du président irakien sur le renforcement de la résistance s’est réalisée mais ses mises en garde contre la discorde interconfessionnelle n’ont pas trouvé d’échos, particulièrement chez certains Irakiens. Nombreux sont ceux qui sont tombés dans le piège qui leur a été admirablement tendu par les États-uniens et leurs laquais. Des centaines de milliers d’Irakiens en furent les victimes innocentes, les cadavres ont débordé des chambres frigorifiques des hôpitaux et tout l’Irak s’est transformé en fosse commune.
La résistance irakienne qui a commencé dès le premier jour de l’occupation ne fut pas fortuite, même si certains de ses aspects le furent. Elle fut bien planifiée et a disposé, dès les premiers jours, d’un commandement secret, de caches d’armes aménagées des mois à l’avance et des éléments bien entraînés à la guérilla. La prédiction du président Bush sur la fin de la guerre ne s’est pas réalisée. Il continue encore à envoyer davantage de militaires en Irak, à quémander au Congrès plus de moyens pour financer sa guerre. Quant à l’Irak de la prospérité et de la stabilité qu’il a promis de construire, il est devenu tout simplement le champ de prédilection des voitures piégées, des escadrons de la mort, des milices sectaires, des voleurs et des gangs du crime.
Les maîtres de « l’Irak nouveau » vivent dans une zone dont la superficie ne dépasse pas 1,8 km², sous haute surveillance et qu’ils ne peuvent quitter que pour un exil doré en Occident où leurs familles résident encore, dans une prospérité financée par les milliards de dollars volés au peuple irakien.
Malgré les 160 000 soldats états-uniens, munis des armes les plus sophistiquées, sortis des meilleures académies militaires et entraînés aux meilleures techniques de combat, les 20 000 supplétifs de la coalition, les 200 000 militaires, policiers et gardes nationaux irakiens et autant de miliciens arabes et kurdes et enfin les 10 000 soldats britanniques, l’occupant n’a pu assurer la route de l’aéroport de Bagdad. Que dire alors des quartiers de la capitale ?
Aujourd’hui, au quatrième anniversaire de la chute de sa capitale entre les mains des conquérants, l’Irak vit des conditions catastrophiques : sans eau ni électricité, sans écoles ni universités et hôpitaux. Ce qui est disponible par contre, ce sont les cimetières et les chambres frigorifiques pour la conservation des cadavres.
L’Irak d’aujourd’hui est une véritable république de la peur que ses citoyens fuient par centaines de milliers chaque mois. C’est le pays qui connaît les procédés de torture et de meurtre les plus abjects : les cadavres qui jonchent les rues avec des crânes troués à la perceuse électrique, défigurés selon des méthodes que la décence empêche de décrire.
Kanäan Mekkia, l’auteur de La République de la Peur, l’un des stratèges de l’occupation et de ceux qui ont poussé le plus à la conquête de l’Irak et au changement de son régime, a eu suffisamment de courage pour s’excuser auprès du peuple irakien et se déclarer « innocent » des crimes, de la torture et des destructions perpétrées dans son pays. Il reconnaît qu’il n’a pu s’empêcher de pleurer en regardant le président irakien Saddam Hussein aller à la potence.
Les excuses sont certes utiles, mais elles sont trop tardives et vides de sens. Le désastre est à un point où il est difficile de faire quoique ce soit pour réparer les choses. Peut-être même que cela demandera des décennies, une nouvelle et solide direction politique et même un peuple nouveau !
Le président Saddam Hussein est allé à la potence la tête haute, le corps droit, incarnant la fierté débordante et la dignité de l’Irak. L’homme n’a pas trahi ni collaboré avec l’occupant. Il n’a pas bafoué les choix fondamentaux nationaux et a laissé derrière lui des générations d’hommes qui combattent pour la libération de leur terre.
Le président irakien a gagné le martyr après avoir préparé le terrain de la victoire et abreuvé ses ennemis de la coupe de la défaite. C’est avec la conscience tranquille qu’il a accueilli la mort, contrairement à ses remplaçants qui ont collaboré avec l’ennemi et enfoncé leur peuple dans l’état calamiteux et désastreux actuel.
L’Irak combattant a coûté jusqu’ici 500 milliards de dollars au Trésor états-unien, plus de 3 000 morts, 25 000 blessés et une humiliation militaire et politique sans précédent. Les États-Unis n’ont pas eu ces pertes même face à l’Union soviétique au sommet de sa puissance et de sa grandeur avec ses 30 000 têtes nucléaires.
Nous avons appelé les choses par leurs noms et dit qu’il s’agissait d’une occupation et d’une résistance. Nous avons subi et continuons à subir les accusations des médias de l’occupation et de leurs acolytes. Et voici que le souverain saoudien, le roi Abdullah, déclare clairement et sans ambiguïté au sommet arabe : « que l’Irak vit une occupation illégale ». Osera-t-on dire que « le souverain saoudien a été payé par Saddam et qu’il a reçu des coupons de pétrole » ?.
*Abdel Bari Atouan a occupé le poste de rédacteur en chef du journal Asharq Alaousat (1984-1988) avant de devenir le rédacteur en chef du journal palestinien Al qods Al arabi, publié à Londres. Il est connu par sa position en faveur des pays arabes qu’il ne cesse pas de défendre publiquement lors de ses interviews sur des chaînes
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