Un système de permis et de cartes
Il n’est pas facile d’obtenir légalement un travail dans l’une des colonies ou des zones industrielles, parce que vous devez avoir une autorisation de l’autorité militaire - la fameuse "carte magnétique" - pour entrer dans les colonies et les zones industrielles, explique Alinat. Certains ouvriers travaillent donc "au noir" sans contrat ou sans aucune assurance.
Vous recevez seulement la carte après un contrôle complet des risques possibles pour la sécurité du `Shabak`, l’agence de sécurité israélienne.
Alinat : "Les motifs pour l’obtention ou le refus du permis ne sont pas clairs. Il y a des ouvriers dont les permis ont été rejetés pour des raisons de sécurité bien qu’ils n’aient aucun casier judiciaire ou liens avec ce qu’Israel qualifie d’organisations terroristes."
En conséquence, l’employeur doit solliciter un permis de travail (Ishur Avoda). L
es coûts de ces permis, environ 1.200 shekels (218 €), doivent être payés à l’avance par l’employé et même avant de commencer son travail, il dépense déjà une petite fortune.Alinat : "Ce permis vaut de l’or pour les Palestiniens et représente un atout important pour des employeurs et parfois mène à du chantage. S’il n’agit pas selon les instructions du patron, il perd sa carte et son travail."
Enquête
Il est encore difficile de croire que ce système presque colonial ait lieu sous notre nez et que personne ne semble être au courant ou vouloir le changer.
Nous décidons avec le guide palestinien, l’activiste des droits de l’homme, Zakaria Sadea, de faire une petite enquête sur le terrain.
Notre premier arrêt est dans la zone industrielle de Karnei Shomron, une colonie de 6.500 habitants datant de 1978, située au sud de Tulkarem. Dans la zone industrielle, nous avons compté 10 usines israéliennes.
Devant l’acierie "G.T.", qui est entourée par de hauts murs - selon les Palestiniens, elle fabrique des pièces pour l’armée - nous tombons sur Hakan, 46 ans. Hakan travaille depuis 9 ans pour "G.T." mais il ne veut plus y rester.
"Je travaille 10 heures par jour et je gagne 100 shekels (18€). Mon patron est très dur. L’autre jour, un bloc de 200 kilos est tombé sur le pied de mon collègue et le patron lui a dit de continuer de travailler parce que la douleur passerait. Je ne suis pas assuré et je suis inquiet de ce qui arrivera à ma famille si je suis blessé ici. Ca ne vaut pas le coup."
Nous avons tenté de parler à l’employeur d’Hakan mais la porte est restée fermée. Les espions ne sont pas les bienvenus ici.
Sur le parking de l’usine voisine de poubelles en métal - nous n’avons pas trouvé son nom - il s’est produit un incident particulier.
Un jeune Palestinien s’est approché de notre voiture et il nous a chuchoté par la vitre à demi ouverte, tout en nous regardant et en surveillant nerveusement l’entrée de l’usine : "Je travaille ici et je gagne 9 shekels (1,6€) de l’heure mais je ne peux pas le prouver que parce que je n’ai aucun bulletin de salaire ou tout autre document."
Quand un homme âgé s’est dirigé vers nous - plus tard, nous avons compris qu’il s’agissait de son chef - il nous a dit nerveusement : "Ne lui dites rien" et soudain il a disparu entre les voitures sur le parking.
Mais Faleh - le contremaitre palestinien - insiste sur le fait que les conditions de travail sont parfaites. "Les Palestiniens devraient être heureux d’avoir un travail ici. Tout le monde est bien payé. Moi, par exemple, je gagne 11.000 shekels (2.000€) par mois."
Perplexes par les contradictions des histoires, nous quittons de l’usine. Qui dit vrai, qui dit faux ?
Est-ce que tous ces ouvriers racontent des histoires ou est-ce l’indication d’un phénomène qui existe dans certaines usines que m’avait expliqué Alinat :
un système colonial du genre "diviser pour régner" dans lequel certains "bons" Palestiniens obtiennent des faveurs - de meilleurs salaires et conditions - en échange d’informations sur la conduite des autres ouvriers et d’un contrôle quotidien ?
Barkan
Après être passés par les zones industrielles d’Alfei Menashe et d’Emanuel, où nous avons entendu des plaintes similaires de la part des ouvriers, nous nous rendons à Barkan, à l’est de la Cisjordanie, qui est située au sommet d’une colline près d’Ariel.
Barkan existe depuis 25 ans et elle est, avec ses 120 usines, l’une des principales zones industrielles en Cisjordanie. De toute évidence, Barkan projette une nouvelle expansion, puisque, en bas de la pente, nous remarquons des constructions en cours.
Les usines fabriquent divers produits, allant du plastique, du métal, à de la nourriture et du textile et emploient environ 5.000 ouvriers. Certains des produits sont exportés vers le marché européen, selon le rapport publié en 2006 par United Civilians for Peace.
La multinationale européenne Unilever détient une majorité d’actions dans l’entreprise Beigel et Beigel, où environ 50 Palestiniens travaillent et Ketter Plastics vend ses produits en Hollande et en Belgique.
Les rues sont vides. La plupart des usines se trouvent derrière des murs et des barrières.
Via l’intercom de la porte, nous essayons de parler à plusieurs employeurs, mais nous nous faisons renvoyer.
A `Oram Joram Arizot`, une usine d’emballages plastique, le directeur, Ronnie Kaufman, nous invite dans son bureau. Nous ne sommes pas autorisés à entrer dans l’usine, dit Kaufman, parce que nous ne sommes pas assurés.
Cette usine avec un chiffre d’affaires annuel de 5.000.000 dollars emploie 20 ouvriers, moitié Israéliens et moitié Palestiniens.
Nous entendons la même histoire. Selon Kaufman, les relations sont bonnes et il appelle un Palestinien pour le confirmer.
Ibrahim, un vieil homme avec des rides autour des yeux, travaille ici depuis 18 ans et il dit qu’il est satisfait de son travail. "Je gagne 5.000 shekels (910€) et il y a une bonne ambiance. Que peut-on demander de plus ?"
Mais quand nous revenons à notre voiture, un autre employé qui a reconnu Sadea l’appelle sur son téléphone portable et met en garde : "Ne soyez pas déçus par l’histoire d’Ibrahim. Nous ne gagnons que 9 shekels de l’heure et nous travaillons dix heures par jour."
Chaos juridique
Notre confusion est totale quand nous essayons de vérifier quelle législation régit la relation entre une entreprise israélienne et un ouvrier palestinien sur le sol palestinien.
Est-ce la législation du travail israélienne ou peut-être la loi militaire ? Ou même la législation palestinienne ?
Selon Juval Livnat, un avocat spécialisé dans la législation du travail et conseiller juridique de Kav La Oved, ce n’est pas clair.
Les zones industrielles et les colonies sont habituellement situées dans la soi-disant "Zone C", ce qui signifie qu’elles tombent sous la juridiction israélienne. On pourrait s’attendre à ce que la législation du travail israélienne y soit appliquée, mais le tribunal du travail a décidé que la législation jordanienne était applicable aux ouvriers palestiniens, à moins cela viole l’intérêt public.
Une telle décision est interprétable de différentes facons et vague. D’ailleurs, la législation jordanienne remonte à 1967 - avant la Guerre des Six Jours - et donne aux ouvriers des droits et une protection très limités concernant les heures de travail, les normes de sécurité et les vacances.
Résultat : Les ouvriers palestiniens sont juridiquement discriminés par rapport à leurs collègues israéliens sur un même lieu de travail, et c’est inacceptable."
Les Palestiniens semblent avoir droit au salaire minimum israélien, selon un ancien ordre militaire israélien, mais le Minhal Izrahi, l’Administration Civile pour la "Judée et Samarie", qui doit surveiller cet ordre, ne le fait pas.
Livnat : "J’ai envoyé des plaintes au sujet de fausses formes de rémunération - par exemple, l’employeur a déclaré moins de jours que l’ouvrier a travaillé - et des bulletins de salaires falsifiés au Minhal Izrahi, mais il n’a pas donné suite."
Dans un Etat démocratique, la solution semble évidente. Pourquoi ces Palestiniens ne poursuivent-ils pas leurs employeurs devant un tribunal du travail israélien ?
Mais même s’ils avaient le courage de le faire, ces Palestiniens seraient confrontés à encore une autre barrière.
Ils sont considérés comme des résidants étrangers en Israel qui pourraient ne pas payer leurs dettes et donc ils doivent déposer de fortes sommes d’argent pour garantir le paiement des dépenses de tribunal qui peuvent s’élever jusqu’à 5.000 shekels avant même que les procédures n’aient commencé.
Et le droit international ne peut pas les aider non plus, explique un représentant de l’organisation OIT (Organisation Internationale du Travail de l’ONU), parce qu’il y a une incertitude juridique quant au fait de savoir si Israel appliquera les engagements des traités internationaux concernant des normes de travail dans les territoires occupés.
L’autorité
Le chaos juridique, l’insécurité au sujet des droits, le manque d’information parce que les témoins ont peur de parler et une totale dépendance entre les histoires des employeurs et des employés semblent avoir transformé la Cisjordanie en "no-man’s land" juridique où tout est possible et rien n’est interdit.
Nous nous tournons vers la seule institution indépendante qui devrait et pourrait connaître tous les faits : le Minhal Izrahi.
Selon les Mesures de l’Etat d’Israel pour améliorer le bien-être de la population dans les territoires, "cette institution est responsable : `(...) de l’administration des activités civiles (...) pour le bien-être et dans le meilleur intérêt de la population Arabe et l’une des mesures qui est mentionnée est "l’établissement d’un salaire minimum".
Mais le représentant responsable des affaires concernant le travail, Itzhak Levi, n’est pas autorisé à nous fournir d’informations sur le nombre d’usines israéliennes en Cisjordanie, leur nombre d’employés, ou si le "Minha" est au courant de plaintes semblables et ce qu’il prévoit de faire sur le sujet.
Il nous a renvoyé vers le capitaine Tzidki Maman qui nous a promis une réponse rapide. C’était le 18 février mais depuis, nous n’avons pas entendu parler de lui.
Et tandis que (le capitaine) Maman cherche des réponses, l’ouvrier palestinien M. continue à travailler en silence dans la zone industrielle de Tulkarem.
Pour lui, il n’y a aucune autre solution."
Note :
Simone Korkus est une journaliste et juriste hollandaise qui travaille en Palestine depuis 2002.
Source : http://www.maannews.net/
Traduction : MG pour ISM
Capjpo-EuroPalestine